Hans Tutschku

Alice aux pays de l’électroacoustique

Magazine web Camuz, 22 avril 2015

Pierre-Luc Senécal: entretien avec Hans Tutschku

Les sons font partie de notre quotidien. Le “scrich“ de la brosse sur vos dents, le “schlac“ d’un grille-pain, le “bzzzzz du frigo“… Tous ces sons passent inaperçus, mais en vérité, ils nous parlent. Peut-être même vous arrive-t-il d’écouter les histoires qu’ils racontent! Ainsi, ce n’est pas le vent d’hiver que l’on peut entendre sur notre fenêtre, mais des voix fantomatiques dans une maison hantée. Pareillement, nous ne sommes pas en train de souffler dans une vulgaire bouteille de bière vide, nous sommes un bateau dont la corne de brume tonne sur le Saint-Laurent…

C’est vers 1947 qu’un hurluberlu du nom de Pierre Schaeffer a décidé de faire un pari : celui de faire une musique qui mettrait à profit ces histoires. En écoutant cette musique, il ne s’agit pas d’y entendre un quidam en train de faire sa toilette ou la cuisine, mais bien d’imaginer ce que le son nous dit. Ainsi, les compositeurs de cette musique, dite « électroacoustique », utilisent principalement le studio, l’ordinateur, le microphone et les haut-parleurs pour enregistrer et amalgamer des sons, créant ainsi une musique de lieux inventés.

Carte blanche au compositeur Hans Tutschku

Pour cette 6e série Ultrasons, le pari est de présenter en concert plus de 425 minutes de créations d’arts numériques, produites par les étudiants de la faculté de musique de l’Université de Montréal. Dans le cadre de cette série de 4 concerts (30 avril, 1er, 7 et 8 mai), la place est cédée aux étudiants du programme « Musiques numériques », qui en réalité ratisse beaucoup plus large que la musique électroacoustique. En plus d’être une vitrine sur les vidéomusiques, performances, instruments inventés et autres créations à saveur technologiques de ces jeunes universitaires, Ultrasons est l’opportunité de découvrir un compositeur de renommée internationale, spécialement invité pour l’événement. Pour ce printemps 2015, Hans Tutschku, compositeur d’origine allemande et enseignant à la réputée université de Harvard, donnera un concert « carte blanche » le dernier soir de la série, le 8 mai.

Une rapide recherche, avant l’entrevue téléphonique avec le compositeur, a révélé un CV d’une variété déroutante, avec des pièces électroacoustiques pour 16 haut-parleurs, des pièces pour instrument et électronique, un spectacle pour danseur, chœur, ensemble, bande électronique et 16 montgolfières, et même, sous la mention « passe-temps », de la photographie et de la céramique !

Étonnamment, le compositeur ne se décrit pas comme un hyperactif. Il préfère attribuer cette diversité à l’éducation offerte par ses parents musiciens, et à son grand père historien de l’art. Lorsqu’il explique sa démarche artistique, l’homme d’une cinquantaine d’années ne laisse pas de doutes sur sa vision : « On est tous des enfants. On aime tous rêver et se laisser aller lorsqu’on va au cinéma, quand on écoute des contes… La musique électroacoustique nous amène dans un espace imaginaire, où l’auditeur peut être créatif pendant qu’il écoute. »

Ainsi, cet adepte d’une musique électroacoustique appelée « cinéma pour l’oreille » insiste sur sa volonté d’offrir avec la musique l’opportunité de faire un voyage mental. La musique amène l’auditeur à se créer son propre parcours et à laisser aller son imagination. « Le public ne comprendra pas tout, mais il pourra se laisser fasciner par la danse mentale à laquelle il se livre. »

Prendre le néophyte par la main

C’est vrai, il n’est pas toujours facile de déceler la beauté cachée dans cet alliage de sons finement agencés. Parfois, les gens n’y entendent que… des sons, et ils n’arrivent pas en tirer un sens ou une image.

Je demande alors comment le compositeur fait pour « séduire le public et créer de la beauté avec la musique électroacoustique ». J’entends dans sa voix que quelque chose s’illumine. « Quand je compose, c’est important pour moi de penser au public. J’essaie de lui proposer des sons qu’il reconnaîtra. C’est ma façon de le prendre par la main et de l’inviter à me suivre. Quand il est prêt, je peux l’amener “ailleurs”, un peu comme Alice s’est sentie en arrivant au pays des merveilles. C’est comme ça qu’il fera peut-être une découverte. La curiosité permet la découverte, et on ne peut pas vieillir si l’on est curieux. »

Vous vous en doutez, un concert d’Ultrasons ne vous rendra pas immortel ! Toutefois, c’est un appel à l’imaginaire qui vous est lancé, une invitation analogue à celle que, curieusement, je retrouve dans les paroles d’un certain chocolatier appelé Willy Wonka, et que je traduis librement : « Venez avec moi, et vous serez dans un monde de pure imagination. »

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